lundi 12 juillet 2010

Wagnériens


Les wagnériens sont parmi nous. Nous menons une vie normale, nous allons et nous venons, affairés, et on ne les remarque pas si on ne s’intéresse pas à l’opéra car comme les raëliens ou les royalistes, ils sont peu nombreux. Mais ils sont bien là. Parmi nous. On en connaît, même, peut-être. Pensons-y… peut-être que ma belle sœur est wagnérienne et que je ne le sais pas ? Non, bon, ma belle sœur, ça m’étonnerait, mais, mettons ma boulangère ? Elle pourrait bien être wagnérienne, ma boulangère : elle est folle. Et tous les wagnériens sont fous. Bon, toutes les boulangères sont folles aussi et toutes les boulangères ne sont pas wagnériennes, quand même (toutes les boulangères ne sont pas wagnériennes, quand même ?). Non, ma boulangère n’est probablement pas wagnérienne, mais enfin, ce que je veux dire, c’est que des wagnériens, il y a en a parmi nous.

J’en ai vu un vieux dans un bar marron près du canal Saint Martin, il y a quelques mois. Il buvait une bière à une table à l’entrée du bar sur laquelle il avait disposé à la vue de tous une pile de disques de Wagner et une pile de livres sur Wagner qu’il couvait d’un regard vicieux. Et il regardait fixement dans les yeux les gens, clients ou serveurs, qui passaient devant sa table comme pour les mettre au défi de venir dire devant lui du mal du divin Richard Wagner, qu’ils essayent un peu et on verrait ce qu’on verrait, bande de connards.

Les wagnériens sont fous. C’est la musique de Wagner qui fait ça. C’est une musique qui rend fou. Moi même qui était à une représentation de la Walkyrie hier soir, je sens que mon esprit s’égare. Mon esprit s’égare. La fatigue brouille mes pensées. C’est peut être aussi parce que je me suis couché tard, hier soir : ça durait cinq heures, quand même, cette affaire-là. Et puis j’ai bu beaucoup de bière pendant les entractes et après la représentation. Chez Rey, en face de l’Opéra Bastille. Un sacré timbré, celui-là, aussi, tiens.

Et donc, qu’est-ce que je disais… ah oui, les wagnériens sont fous car la musique de Wagner rend fou (peut-être que Rey est wagnérien, aussi ?). Les wagnériens ont toujours été fous. Wagner lui-même était fou. Et il a bénéficié du soutien du roi Louis II de Bavière, notoirement fou à lier, pour faire bâtir dans la petite ville de Bayreuth en un lieu nommé depuis la Colline Sacrée (faut être fou) une salle d’opéra entièrement dédiée à sa musique (fou !). Et c’est dans ce Bayreuther Festspielhaus que depuis 1876 a lieu le Festival de Bayreuth, manifestation extrêmement prestigieuse et folle pour laquelle il faut environ 10 ans d’attente et de manœuvres invraisemblables pour espérer obtenir des places. Tout est fou autour de Bayreuth. Des gens tels que Nietzsche ou Baudelaire s’y sont rendus et sont devenus fous. Des milliers de fous font de même chaque année. Et la musique de Wagner jouée partout dans le monde ébranle l’esprit des gens qui viennent l’écouter.

Et donc j’allais hier soir à l’Opéra Bastille pour une représentation de la Walkyrie. J’attendais le métro sur le quai de la station Louvre-Rivoli quand j’ai été approché par une dame d’une bonne soixantaine d’année aux cheveux d’une teinte rouge métallisé indescriptible coupés en brosse. Elle m’a abordé et nous avons eu l’occulte conversation suivante :


La wagnérienne : J’ai le même.
Moi : Pardon ?
La wagnérienne : J’ai le même.
Moi : Le même quoi ?
La wagnérienne : Le même T-shirt. Mais je l’ai enlevé, par discrétion.


Oui, il faut vous dire que je portais un t-shirt du festival de Bayreuth du plus bel effet : noir avec en blanc l’incompréhensible citation "Zum Raum wird hier die Zeit" extraite de Parsifal. Je possède ce Saint t-shirt venu tout droit de la Colline Sacrée grâce à mon ami Toufik, plus fanatiquement wagnérien que moi qui, à force de manœuvres et de coucheries, a réussi à s’introduire l’été dernier dans le Festspielhaus pour assister à des répétition et grappiller des t-shirts. T-shirt qui, donc, avait permi à ma wagnérienne de m’identifier comme wagnérien.

Moi : Ah. Vous l’avez.
La wagnérienne : Oui, je viens de le quitter.
Moi : Ah oui. Par discrétion, vous dites.
La wagnérienne : Par discrétion, oui. Vous me comprenez.
Moi : Bien sûr. Moi, là, en fait, je l’ai mis parce que c’était le seul vêtmement propre que j’ai trouvé ce matin en me levant.
La wagnérienne : Ah. Vous allez à la Walkyrie, là ?
Moi : Bien sûr. Vous aussi ?
La wagnérienne : Bien sûr. Qu’avez vous pensé du dernier Parsifal de Bayreuth ?
Moi : Euh, ben rien. En fait, le t-shirt, là, c’est un ami qui est allé à Bayreuth qui me l’a donné. Moi, je n’y suis jamais allé.
La wagnérienne (déçue et revoyant son opinion sur moi à la baisse) : Ah. Mais vous allez bien à la Walkyrie à l’Opéra Bastille, là, quand même ?
Moi : Ah oui, bien sûr : j’adore Wagner.
La wagnérienne (un peu rassurée) : Bon. Bon. Le chanteur qui chante le rôle de Wotan est bien. Je l’ai entendu à Berlin il y a trois mois. Meilleur qu’à Londres l’an dernier.
Moi : Ah oui ?
La wagnérienne : Vous y étiez aussi ?
Moi : Ah non.
La wagnérienne : Vous auriez dû venir, c'était pas mal. Mais ça ne valait pas la production de Tristant et Yseult à Los Angeles, avant hier. C’était remarquable. Vous y étiez ?
Moi : Bé non… Los Angeles ? Ben dites donc, vous aimez Wagner, vous.
La wagnérienne (suspicieuse) : Ben bien sûr ! Pas vous ?
Moi : Si, si, houlà... vous pensez !


Le wagnérien voue en effet sa vie à Wagner comme une nonne se voue au Christ : c’est une sorte de sacrifice sacerdotal sensuel et malsain. Le wagnérien a tous les disques, tous les livres, connaît les moindres détails de la vie du maître, appartient à un cercle Richard Wagner (des cercles Richard Wagner, il y en a partout) et, surtout, va à l’opéra pour emmerder les gens normaux.

Le wagnérien a une psychologie particulière. Imaginons que vous le croisiez à une représentation de Parsifal. Parsifal est le meilleur opéra pour observer le wagnérien : c’est le dernier opéra du maître, le plus mystique. Le wagnérien a assisté à la meilleure production de Parsifal, mais c’est toujours une autre que celle où il se trouve et c’est toujours une production que vous n’avez pas vue, vous ne pouvez donc pas comprendre vraiment Parsifal, mon pauvre. En un mot, le wagnérien est snob. Quoi qu’il voie, il a déjà vu mieux et il est blasé. Mais le wagnérien ne boude pas son plaisir pour autant : il est à Parsifal comme à la messe, c’est important, c’est sérieux. Mais il a deux contrainte à respecter : il doit nécessairement acclamer quelque chose et huer quelque chose à chaque représentation. Nécessairement. Même si, comme moi à la Walkyrie hier soir, il est face à une production sympathique, mais avec rien d’exceptionnel, ni en bien, ni en mal. Il doit acclamer et huer. Il acclamera donc un chanteur ou le chef et poussant des cris et des bravos à s’en faire péter une veine, et il huera quelqu’un, mettons une chanteuse ou le metteur en scène en le traitant d’assassin et de pourri. Le wagnérien n’est pas un fade, il a des passions violentes. Et à la fin de la représentation de Parsifal, arrive son heure de gloire : on raconte parmi les wagnériens qu’à Bayreuth, la tradition pour le public est de ne pas applaudir à la fin de Parsifal et de sortir sans bruit de la salle. avec recueillement C’est faux et le wagnérien le sais sans doute, mais il prendra néanmoins un air de fausse surprise scandalisée quand les gens se mettront à applaudir à la fin de la représentation et se tournera et se retournera en tous sens pour essayer de faire cesser le blasphème et d’empêcher les gens de taper dans leur mains. C’est très fatiguant d’être à côté d’un wagnérien à l’opéra.


Mais je me moque, je me moque, mais je comprend le wagnérien. Moi même, j’ai goûté au charme vénéneux de sa musique et comme lui, je suis devenu fou. Pourtant, hier soir, en sortant de la Walkyrie pour me rendre au café Rey, j’ai prudemment regardé autour de moi pour éviter de retomber sur la wagnérienne folle à cheveux rouges croisée dans le métro. Elle était quand même un peu inquiétante.




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